Stage Paolo Woods «
Arles,
Le stage photo « raconter une histoire » a commencé à Arles lundi et tout ronronne : présentation du travail de Paolo Woods qui dirige le workshop, présentation des books des 12 participants, discussion des motivations et choix des sujets. Après un échange de points de vue, je propose un sujet dont je suis convaincu qu’il est génial : raconter l’histoire du Coffee Socks, un café branché d’Arles et de sa créatrice Catherine, artiste et modèle, que j’avais connue lors de mon stage avec Ludovic Carème l’année dernière. Paolo et Catherine me donnent leur accord, et c’est parti. En venant à ce stage je suis assez content de moi. Depuis un an j’ai beaucoup progressé, les portraits que je fais de mes proches sont appréciés et maintenant les maris me disent de plus en plus souvent « Je ne savais pas que ma femme était si jolie ». Tout devrait donc bien se passer, la mer est belle et les troupes sont fraiches.
Mardi je me présente au Coffee, avec mon histoire toute prête dans ma tête. Je vais raconter la vie du Coffee et de sa créatrice en présentant en huit photos leurs huit activités : le café bien sûr, le lieu d’exposition du festival photo off d’Arles, la vente de fripes, la création de bijoux, le lieu de rencontre d’adhérents et d’associations, les salles de concerts et de musique, la laverie et le lieu de rencontre de grapheurs. La syntaxe que j’ai choisie s’adapte aux circonstances exceptionnelles que traverse le Coffee, qui a des difficultés financières, mais qui se donne six mois pour se redresser, comme je l’ai appris la veille. Catherine sera au deuxième plan de toutes les photos, avec les murs et la décoration très flashy du Coffee en arrière-plan. Elle regardera l’objectif de face. Dans les activités qui marchent encore, les clients seront au premier plan, photographiés de face. Dans les activités qui ne marchent plus, ils tourneront le dos. Voilà, c’est pensé, c’est structuré, y a plus qu’à. Un petit hic toutefois, Catherine n’a plus de personnel, alors que l’année dernière ils étaient 3 ou 4 et c’est elle qui fait tout au Coffee, préparer les plats, servir, encaisser et recevoir les clients, quand il y en a. Donc quand il y a des clients Catherine ne peut pas poser car elle est occupée, puisque seule à servir. Et inversement quand elle peut poser c’est que le Coffee est vide. Je peux difficilement avoir en même temps Catherine et les clients, ce qui met sacrément à mal ma syntaxe. Qu’à cela ne tienne, aujourd’hui je photographie les murs et la décoration, ce qui me permet d’évaluer la lumière en intérieur et à montrer en photos ce superbe lieu à Paolo, qui ne le connait pas encore. Aussitôt dit, aussitôt fait et je montre le résultat à Paolo, qui m’accueille par un « Je crois que l’on ne s’est pas bien compris, je pense qu’il faut mettre les choses au point. Raconter l’histoire du Coffee ce n’est pas simplement photographier des murs, il me faut des personnages dedans, il faut qu’il se passe quelque chose et que ça crée de l’émotion », le ton est très poli mais il est celui qu’on utilise habituellement pour expliquer quelque chose d’évident à un débile léger. « Mais Paolo, je sais tout ça, mais aujourd’hui il n’y avait pas grand monde au Coffee … et ceci cela et tout ça et patati, patata… », bref j’essaye de justifier tant bien que mal ma démarche. Paolo compatit « Bon d’accord, mais demain je veux voir du monde sur tes photos». Je raconte tout cela à Catherine, qui me rassure en me disant que demain Calùn le chanteur manouche sera là et qu’il y aura sûrement du monde. Hisse la toile moussaillon, demain il y aura du vent.
Le lendemain, mercredi, calme plat. Peu de monde toute la journée et le soir Calùn, superbe chanteur plein de talent a beau s’égosiller, il ne fait pas recette. Je fais quelques photos quand même, je les montre à Paolo qui en extrait péniblement trois. Et qui me dit « Tu es content de toi avec ça ? ». Je sens que j’ai régressé d’un cran dans son estime. Toujours très courtois, il me parle maintenant comme on parle à un débile lourd. « Non Paolo, je ne suis pas content de moi, d’abord il n’y avait pas beaucoup de monde, mais en plus je ne trouve pas mes photos belles. J’ai l’habitude de travailler en manuel pour faire des portraits en plans serrés avec un 85mm et je sens que j’ai loupé mes plans larges en 35 mm ». Alors là Paolo s’anime et donne la pleine mesure de son talent. Il m’apprend tout de la technique qui s’applique à ce que je dois faire, en moins d’une heure. Mon Canon 5D prend vie dans ses mains et tout y passe : réglage en mode programme, glissement des couples, correction d’exposition, visée par l’écran, utilisation du pied, mise au point très fine en manuel, utilisation du flash avec diverses orientations et corrections d’exposition, composition, cadrage et parallélisme. J’absorbe tout comme une éponge. Un jour nouveau se lève. Demain je ferai des miracles.
Le lendemain jeudi, patatras. La grille du Coffee est fermée. Catherine, très embarrassée me dit à travers la grille qu’elle a décidé de ne pas ouvrir aujourd’hui parce qu’il n’y a personne, mais que demain ça ira mieux, car c’est vendredi. Allez ciao, à plus. Timidement, je lui demande et j’obtiens une promesse de prises de vues en tête à tête d’une heure dans les locaux, avant l’ouverture. Je ne sais pas encore ce que je vais en faire, mais je me dis que ça va être la dernière journée de prises de vues et qu’elle doit être la plus longue possible.
Je rentre tristement au lieu où se déroule le stage, je mets à jour mes maigres fichiers photos et je règle avec Romain l’assistant de Paolo les problèmes informatiques qui me minent. Romain, le feu follet qui avec gentillesse joue parfaitement son rôle d’aide pour les nuls du Mac et de Bridge. La tête basse j’affronte Paolo qui me demande : « Qu’est-ce que tu fais là ? ». Tristement, je lui dis que je suis au chômage technique. Je m’attends à une volée de bois vert. Il me dit alors de ne pas hésiter à réviser les objectifs que je me suis fixés et que ça ira mieux demain. Son ton est conciliant, mais je sens que quelque part il me parle comme on parle dans les cas désespérés. Je pars d’un pas lourd, avec mon barda photographique inutile sur les épaules, augmenté du poids de tout l’univers. A ce stade du stage, étant donné le peu de temps qui me reste – une journée – et les vents contraires, j’ai décidé de déclarer forfait. Après tout je suis en vacances, rien ne m’oblige à terminer ce stage et il y a tant de choses à voir à Arles ! Mes pas me portent tout naturellement pour le dîner vers ma copine Ariane, qui fait bar à vins. Devant une bonne tarte aux épinards, elle me donne à choisir entre divers vins en me les faisant goûter et re-goûter, elle me sert une bonne rasade de celui que j’ai choisi. C’est là que je vois poindre une petite lumière : pourquoi déclarer forfait, puisque je n’ai rien à perdre, je vais passer ma journée à m’éclater à photographier en me laissant guider par mon intuition. Je ne peux avoir Catherine et les clients en même temps ? Tant pis pour les clients. J’ai photographié le lieu et j’ai repéré les meilleurs angles de prises de vues et les réglages à appliquer. Catherine est un excellent modèle, très photogénique que je connais bien et qui est à l’aise très rapidement. Paolo m’a montré comment tirer le maximum de mon appareil et Romain m’a aidé à rendre opérationnelle ma chaîne de traitement informatique. Je vais donc changer de syntaxe, photographier Catherine seule dans un Coffee vide, et pour ça j’ai une heure de temps, demain matin, avant l’ouverture pour effectuer les prises de vues dans de bonnes conditions. Le moral est revenu, je suis gonflé à bloc. Et Yahoo, vire au guindeau, nous irons à Valparaiso.
Vendredi, dernier jour pour les prises de vues. J’ai bien dormi et je suis en forme. Catherine est sereine et de bonne humeur. Les séquences de prises de vues se déroulent comme dans un rêve, tous les éléments glanés péniblement et séparément pendant les journées précédentes s’assemblent maintenant parfaitement. Au bout de deux heures, Catherine doit arrêter les prises de vues pour ouvrir le Coffee et vaquer à ses occupations. Je rentre avec ma moisson de photos, j’effectue une présélection que je montre à Paolo. Il regarde longuement, ne dit rien, en choisit cinq puis me dit simplement « J’aime beaucoup ces photo, c’est bon, tu peux exposer ces cinq en plus des trois précédemment choisies. Tu sais, tu reviens de loin». Il me parle affectueusement, comme à quelqu’un qui a touché le fonds de la piscine, tchin-tchin et qui remonte vers la surface. Ca fait chaud au cœur.
Samedi, dernier jour du stage, dévolu à la préparation de l’exposition, je suis donc revenu par miracle dans la course avec les 45 autres stagiaires des quatre différents workshops. Journée fébrile, mais couronnée de succès. Mes photos ont leur part de spectateurs et je sens que j’ai encore franchi une étape quand j’entends plusieurs photographes me dire, dont des professionnels « J’aime beaucoup ce que vous faites ».
Alléluia, ça chante dans ma tête. Mais cette fois, j’ai senti le vent du boulet.
Alexandre Lumière, le 24/07/2011